vendredi 13 avril 2012

Episode 25

Chers tous,

            Après une nouvelle chute moisie en ski de fond (J'adorerais vous faire croire le contraire, mais c'était digne des Bronzés font du ski : "J'y vais mais j'ai peur !"), j'ai eu la chance de boucler mon hiver par une demi-journée aux urgences. Ni-ckel.

            Me voilà donc dans le hall des urgences à Oslo bondé et brouillon, comme un hall de gare, en passe d'expérimenter de l'intérieur le système de santé norvégien.
Je fantasmais déjà sur les tests qu'on allait me faire passer ("Buvez ce verre de neige cul sec et on verra si vous êtes apte à retourner travailler !") les remèdes qu'on allait me prescrire ("une goutte de sang de suédois dans chaque oreille 3 fois par jour"!) les exercices de kiné m'on me conseillerait peut-être (Mettez ce casque à cornes et harnachez vous à ce tronc d arbre, puis avancez tout droit, ca va vous muscler les mollets), ou encore, mais c'était moins sûr, les tests de lecture qu'on me ferait peut-être passer : Æ ø å

            On m'a tout d'abord mise dans le tas spécial éclopés, avec un numéro pour faire la queue. Comme chez le boucher ! que je me suis dit, en me ravisant vite. Pas très opportun…

Il fallait voir le spectacle dans la salle d'attente.
Tout le monde avait une pate cassée.
De quoi créer un groupe facebook "j'ai une jambe en mousse et ca fait bien chier" avec 450 membres en 10 minutes.
Des éclopées gisant mollement, des actifs agacés d'avoir un pied dans le sac, des touristes tombés en ski (no comment), et une petite fille, habillée tout en rose Hello Kitty, qui semblait être la seule à trouver ca vachement amusant. Elle piaillait à son père : "C'est trop bien que je me sois fait mal au pied, ni toi ni moi n'allons à l'école aujourd'hui!". Son père, qui pianotant sur son Blackberry impatiemment, riait un peu jaune à la blague de sa gamine. ("Je rate le Commex du 1er trimestre parce que tu as décidé de jouer à la marelle sur la table à repasser, petite conne !").

47 numéros plus tard, on m appelle.

J'arrive en clopinant devant le guichet.
Une fille encore moins aimable (et probablement tout aussi limitée) que ma prof d'EPS de 4ème me demande "Numéro de sécu ? Quel pied ? "
Elle note.
Puis elle me glapit : "Retournez vous asseoir !"
Je lui réponds : "Je peux avoir des béquilles ?", en pensant : "Ca va, c'est pas de ma faute si t'as la ménopause !"
Une de ses potes surgit alors un peu de nulle part. Vous savez, les gens qui sont dans les hôpitaux en blouse, et avec les mêmes horribles Birkenstock aux pieds que les autres, mais on sait pas trop à quoi ils servent. Bon, elle avait l'air d'être bonne à bouffer du foin, elle aussi. Elle me jette des béquilles de 2 couleurs différentes. Comme les Kickers quand t'es gamin et qu'on t'apprend à pas mélanger la gauche et la droite…
Je prends les béquilles sans remarquer qu'elles sont des vacheries de clous, jusqu'à ce que je me plante connement le clou dans le pied et me rasseillant. (Après on m'a expliqué que les clous sous les pieds des béquilles, c'est pas pour pas glisser sur la glace. Pays de malades !)
L'addition s'allonge, on en était maintenant à -1 pied et -1 collant. Brillant !

Après 1000 ans, et plein de gens qui étaient passés avant moi, (Et c’est comme d'habitude, dans ces circonstances, on se dit toujours : "J'hallucine, je suis sûr que ce mec est arrivé après moi."
Et je profite d'ailleurs de cette tribune pour dire que l'hôpital est un monde de castes avec des privilèges : si tu arrives mourant sur une civière, tu passes devant tout le monde. C'est dégueulasse. Genre, j'étais verte, je suis passé après un mec, tout ca parce qu'il s'était tronçonné les deux bras !)

Mais bref, après 1000 ans, arrive une fille brune de max 1m50, avec un visage qui rappelait celui de la fille canon de Slumdog Millionaire. Elle est toute mimi et m'emmène vers la salle d'osculation, mais elle semble, comme moi, découvrir les lieux.
Elle ouvre des portes au hasard: toilettes, sale de repos des médecins de garde, salle à manger, véranda, sale de billard, grange et petit salon.
Ca commence à m'inquiéter. (Et si c'était cette ordure de Moutarde qui avait fait le coup avec le chandelier ?)

Puis, finalement, on trouve ensemble une salle disponible. Elle me dit que c'est elle le médecin et ajoute dans un norvégien bancal : "Je viens juste à commencer de travail ici !"
OMG
Elle regarde ma cheville. Je vois qu'elle réfléchit.
Et là, je vous promets, elle fouille dans ses poches, sort son Iphone, et commence à googler des trucs d'un air circonspect.
Oh putain que je me dis ! C est quoi ce truc ?
Je ferme les yeux pour éviter de voir ce qu'elle tape (Amputation ???).

Bon aucun rapport, elle me dit avec son visage superbe et ses grands yeux noirs "On va faire une radio".
Me voila dans une nouvelle salle d'attente.
J'avais jamais vu autant de béquilles de ma vie, sauf à Lourdes peut-être.

Autour de moi, ca n'arrêtait pas.
Le médecin chef était un Indiana Jones, avec un rire sonore qui s'échappait de sa mâchoire carrée. Il a tapé dans le dos d'un patient en lui disant : "Voyons, votre jambe a juste été broyée par un camion, c'est rien, mon vieux ! Rentrez chez vous et regardez la télé !"
On m'avait déjà dit que les norvégiens étaient les rois de l'automédication. Message compris.
Finalement, Indiana Jones décide que j'ai une foulure et que je vais pouvoir rentrer bientôt chez moi. Mais bon, que je dois encore un peu attendre.

Me revoilà à côté de Hello Kitty qui joue maintenant sur le téléphone de son père sans avoir coupé le son. Tous les voisins s'agacent. En plus, dès qu'elle marque un point, elle crie et me file des coups de coude. Sale gosse, cassons lui l'autre jambe qu'elle la boucle, oui ou merde.

J'étais en train de vraiment perdre patience cette fois quand Barbie infirmière surgit et me demande dans un sourire à tomber : "C'est vous qui vous êtes fait mal au pied ?"
Barbie enturlupines gentiment un truc autour de mon pied pendant que je pense en la regardant : "J'adore ce pays."

Le bécot à tous,

Martine