lundi 19 décembre 2011

Episode 13

Lundi 6 juin 2011


Chers tous,

C'est lundi, c'est raviolis, et ça fait plusieurs semaines que je voulais vous donner des nouvelles.
En bref, pour résumer ces derniers temps, il y a trois choses à dire.

- Je suis décalquée de chez décalquée, un truc de ouf. Et la raison, ce n'est pas (seulement) parce que chez Cralsborg, il pleut de la bière en canette, mais bien que ça y est il ne fait plus du tout nuit.
Ce pays me dépasse, décidemment, quand c'est pas la météo, c'est la lumière.
A 23h, il fait plein jour.
A minuit, il fait bleu.
Ainsi je m'endors avec un masque comme dans les avions (rigolez, rigolez, ça y est j'ai eu 27 ans les gars, c'est plus de mon âge, tout ca…). Du coup, je me réveille en panique, quand la chambre est inondée de soleil, en me disant que j'ai eu la panne d'oreiller la pire de ma vie. Je secoue Bjørn-Håkon qui dort tranquillement sous ce soleil de midi andalou, et en fait, quand je regarde le réveil je vois qu'il n est que 2h57… Je me demande comment ça sera fin juin…

- Je commence à être gavée par les gens que je connais à peine, voire pas du tout, et qui me demandent des adresses de cafés et de restaurants à Paris pour un week-end romantique, avec un programme bien dégoulinant de kitsch, du genre diner sur une péniche devant la tour Eiffel, et tout le tralalala. (my ass)
Du coup, pour les gens que je ne connais pas, l'idée me frôle de leurs conseiller n'importe quoi, depuis le club sadomasochiste de la rue Truffaut sous l'intitulé "Meilleure adresse de brunch, en plus, le staff est super sympa" en passant par le Quick de la porte Clichy "spéciale mention dîner romantique…" et le parvis de la préfecture à Cergy pour une promenade au clair de Lune avec comme commentaire "vous souhaitez lui déclarer votre flamme, mais vous ne savez pas où?"

- Enfin, il faut absolument que je vous parle du 17 mai.
Le 17 mai, les norvégiens fêtent leur indépendance, (17 mai 1814 pour la Minute Histoire, date de la première constitution. Après le bon débarras des Danois, les Norvégiens sont en effet tombés dans les griffes des Suédois…Et ce grâce à qui? Grâce à Napoléon ! Mais disons qu'avec une constitution propre, ils étaient quand même un peu indépendants, qu'il m'ont dit.)
Donc bref, ils font la fête.
Et alors ils sont super contents que ce soit le 17 mai. Mais vraiment super contents.
On se souvenait que OUI ils adorent leur drapeau, OUI ils sont proches des traditions rurales, et OUI ils sont hyper fiers de la région dont ils viennent.
Et ben le 17 mai, c'est une concentration de tout ca, et ça frôle le jamais vu.
Au placard les vêtements branchés, l'Iphone éteint pour quelques heures. Tout le monde en costume traditionnel et dans la rue pour défiler, un drapeau dans chaque main…
Je saurais pas comment vous décrire le sentiment implacable de fédération autour de la Norvège, ni le fait que personne n'y coupe…

C'est comme si vous preniez, tiens, disons le mec de votre classe de seconde le plus irrévérencieux. On en a tous eu (été??) un, vous savez, le gars qui écoutait du hard métal en cours, et écrivait les noms de ses groupes de rock fétiches au tipex sur son East Pack. Celui qui gravait, avec la pointe de son compas dans la table, le A entouré ("mais oui, t'as vu, c'est parce que ça veut dire Anarchiste, et les profs, on les emmerde").
Ou, dans une autre variante, le gars de votre classe qui arrivait en retard, avec le pantalon sous les fesses, qui s'installait sur une table tout au fond, dormait pendant tout le cours d'histoire avec un seul des 4 pieds de la chaise sur le sol. Celui qui, quand il se réveillait à la fin du cours avec la marque des coutures du pull sur le front, allait vous apprendre dans un coin à la récré à rouler votre première "cigarette".

Bon, et ben imaginez tous ces gens-là en costume, se tenant droit, dansant des danses populaires, et se complimentant sur la laine des chaussettes de l'un, et l'éclat des boutons de manchette de l'autre.
A la télé, prenez, tiens, Faudel, Mylene Farmer, Yannick Noa et Mimie Mattie, en train de se prendre dans les bras, eux aussi sapés en costume, en se disant "Félicitations pour le plus beau pays du monde"
Bon et ben c'était ca. Tous les gens ont un bunnad, un costume traditionnel. Alors en plus, ça rigole pas, c'est codifié, selon là d'où vous venez il y a des grosses variations dans le costumes. En gros c est comme si votre pote avait le Bunnad d'Asnières sur Seine et vous celui du 12ème arrondissement. Rien à voir dans les couleurs, bien sûr… je vous envoie quelques exemples.
A 9h du mat, après avoir bu du champagne et chanté l'hymne national (qui commence par, devinez quoi, "Oui nous aimons ce payyyyyyyssss (!!!!) c'est très beau, on se gèle parfois  un peu les miiiiiiiiiiiches, mais c'est très beau très joliiiiiiiiiiiii"), on est allés voir la parade. Je vous envoie un petit jeu.

Devine laquelle des deux photos est le balcon du roi le 17 mai: (réponse en bas[1])


 

Du coup, emballée, je me suis incrustée dans la parade avec un pote de Bjørn-Håkon: autre petit jeu, essaie de nous retrouver sur la photo !












[1] Bon c'était facile quand même, c'est bien sûr la deuxième. L'autre, c'est chez ma sœur à Dallas qu'elle m'a dit.



lundi 12 décembre 2011

Episode 12

Vendredi 6 mai 2011

Chers tous,
Quel plaisir de vous écrire alors que le soleil brille et que le ciel est bleu ! et oui, ça y est ici aussi le printemps est arrivé, et les jours rallongent à vue d’œil… même si ça n’empêche pas mes copains les blonds de continuer de diner à 15h30 et de souhaiter bonne soirée à partir de 13h00…
Une fois je me suis même faite mal voir car j’ai osé un « God morgen! »[1] à 10h30, et qu’on m’a vraiment regardée comme si j’avais pris de la drogue[2], du genre « ça va pas bien mademoiselle l’Europe du Sud de me souhaiter bon matin à 10h30 ? Tu vois bien que je pars à la cantine! Pourquoi pas diner après 17h tant qu’on y est ? Oh non mais on aura tout vu avec les gens des pays du Sud ! »
Et puis c’est pas seulement que les jours rallongent, c’est que, oui Madame, oui Monsieur, on a déjà passé 3 fois la barre des 17 degrés ! Nos copains les scandinaves n’en peuvent plus, ces messieurs sont en short depuis qu’il ne neige pas et les filles s’installent torse nu en terrasse[3], c’est la grosse teuf.
Mais, ne perdons pas le nord : qui dit beau temps dit bon business. Car plutôt que d’aller se coucher comme pendant tout l’hiver (ie octobre à avril) à 18h30, les norvégiens et les norvégiennes, et ben ils vont boire des bières en terrasse. Sehr gut! Wunderschön! comme dirait ma pote Gudrun[4].
Pourtant, et c’est là que le bas blesse, on a beau dire météo du printemps finistérien à Oslo, le marché de l’alcool décroit, et ce manifestement depuis quelques temps ici…
Alors, au travail, on s’arrache les cheveux pour comprendre pourquoi. Mon boss pleure en voyant les statistiques qui montrent que l’âge moyen du premier black out, avec coma éthylique et nuit à l’hôpital, (s’il vous plait !) est passé en 3 ans de 14,7 ans à 15 ans….
MERDEUUUUH qu’il crie mon boss, tout se perd, bordel, et les chiffres du marché sont dégueulasses. C'est pas comme ça que je vais l’élever, mon fils ! (ndlr: pour l’instant ledit fils a 8 mois.)
Et moi, dans mon coin, je me dis mais nom de nom, si c’est moins pire qu’avant, mais alors c’était comment, avant ?? Parce que ce que j'ai vu des Scandinaves en 6 mois, ça dépasse carrément l’entendement. C’est sans rire, no limit. Au-delà du réel. Ihr habt es verstanden quoi.[5] Des gens effondrés sur le bas côté de la route, inconscients, sans jean (mec je crois que tu as perdu un truc…) par -17. (Et pourtant on me la fait pas, je suis pas tombée de la dernière gerboulade-c’est-marrant-j-ai-un-peu-trop-bu-je-crois).
En fait, ici, les gens sont comme des gamins avec l’alcool, c’est tellement le truc interdit ou beaucoup trop cher…du coup quand y en a, offert par des soirées d’entreprise par exemple, ou encore à des prix moins élevés qu’en Norvège (comme, par exemple, dans tous les autres pays d’Europe) ben faut y aller sans réfléchir. C’est comme la piscine de boules d’IKEA quand on avait 5 ans, ou encore les montagnes de nounours en chocolat aux anniversaires des copines de CE1, faut rentabiliser, ça arrive pas si souvent. Quitte à s’en rendre un peu…malade…
C’est ainsi que Bjørn-Håkon est rentré un soir de la soirée de Noël de son entreprise, sans manteau, en me disant fièrement qu’il avait négocié avec son boss un entretien d’embauche pour moi dans son département. Ultra vexé que je lui explique que non merci j’avais déjà un boulot, il s’est couché en me disant que de toutes façons j’étais pas sympa alors qu’il essayait d aider.
Aucun souvenir de cette conversation le lendemain…

Enfin, il faut que je vous raconte un truc. Petite vengeance sur l’école primaire où comme moi vous avez aussi entendu maintes fois « yeux bleus, yeux d’amoureux, yeux marron, yeux de cochon ». Et ben ici c’est le contraire[6].
Du coup j’ai la grosse classe, vous avez pas idée. Des compliments par-ci et des compliments par-là sur mes yeux de cochon. Comme, en plus, être brun, c’est déjà faire partie d’une minorité visible, et ben si je leur avais raconté mon histoire de genou pété, on était bons j’étais dans la plaquette de la boite, à la page
Le groupe Cralsborg, c’est aussi la diversité.
Avec, sous ma photo « Martine, immigrée et handicapée, s’est bien intégrée dans notre équipe ».
Je conclus donc en disant : avis donc aux français célibataires aux yeux bruns qui auraient envie de voir du pays.
Le bécot et bonne semaine à tous,
Martine
 
 


[1] (=bon matin, mais les gens qui ont été nourris à la graine du Goethe Institut Tokyo Hotel wurtz kartoffel die rechnung bitte auront déjà compris)
[2] So what?
[3] Bah viens voir si tu me crois pas ! et tu peux même t'asseoir sur leurs genoux !
[4] Je vous l'ai jamais présentée ? Pourtant elle en vaut la peine, elle est championne d'apnée dans les fontaines de bières de Münich !!
[5] Mais Gudrun laisse moi raconter, euh!
[6] Mec aux yeux bleus, mec ennuyeux, fille aux yeux noirs salope d'un soir oh, ça va, je rigole !

dimanche 4 décembre 2011

Episode 11

Vendredi 15 avril 2011

Chers tous,
Il y a une chose qui continue de m’interpeller ici.
D’un côté, la Norvège est un pays extrêmement avancé sur plein de points. Peut-être même un des plus avancés du monde. Non contente d’être indécemment riche et d’être médaillée d’or de l’indice de développement humain de toute la planète, la Norvège a en prime une société décomplexée et très avancée : ici, on pense de façon libérée. Ici, on ne pédale pas la tête dans le saumon.
Les femmes ont eu le droit de vote il y a cent ans, la prostitution n'est pas punie (enfin seulement le client, c'est une société "girl power" :-) ), le mariage gay est une question archivée, les cellules des prisons sont vachement mieux que des apparts-hôtel Novotel, on remet le prix Nobel de la paix à un chinois en prison (après tout, avec 4,9 millions de norvégiens, qu’est ce qu’on en a à carrer de se fritter avec la Chine, merde ?).
En revanche, il y a des aspects de la société qui sont ULTRA conservateurs. L’exemple, qui n’est pas un détail : la prohibition de l’alcool. Des taxes frisant le ridicule sur la moindre canette de bière, des bouteilles de mauvais beaujolais-nouveau-d-il-y-a-3-ans-on-s-en-fout-à-l-etranger-ils-ont-pas-compris-le-concept à 75€. Le tout jalousement gardé dans les magasins appartenant à l’Etat, où il faut presque passer un interrogatoire à la caisse pour ramener à la maison sa bouteille de Malibu à 140 €. (je vous jure que ce dépliant rose fait foi, c'est mon permis de conduire (…) non je l’ai pas fait faire par une classe de maternelles(…) oui, j’ai un appareil dentaire sur la photo, à l’époque j’ai souri, je pensais que ce serait marrant, la conduite accompagnée(…))
Ca ne rigole pas du tout, vous n’imaginez pas. Un pote de Bjørn-Håkon s’est fait chopper dans la rue avec une bouteille vide de bière à la main, ça a été direct 250€ d’amende. BIM.[1]
Autre tiraillement de la société norvégienne : l’exemple de la relation de la Norvège avec les technologies d’une part et leurs racines de l’autre. Certes, avec un niveau de vie pareil, une densité d’habitants au km2 atteignant max celle de la Creuse dans le centre d’Oslo, et surtout, du fait de la nécessite d’être bien équipés, à cause d’un climat de cochon des neiges, on a besoin de technologies pour communiquer facilement. Pour avoir l'impression d'être connecté à plus de 7 personnes quand on vit dans une ville de Norvège de taille moyenne.
Du coup, tous les foyers ont l’Internet haut débit depuis 1995. Tout se fait en ligne aussi depuis belle lurette, et ils ont le plus haut taux de pénétration de l’Iphone au monde. Quand on monte à Oslo dans le tram, on a limite l'impression d'être sur le tournage d'une pub pour Apple. Je vous parle même pas du fait que pour prendre rendez-vous chez le médecin, c’est par sms, et que, mon préféré, on peut payer par carte dans les taxis. (Rhoooo, ça me fait tellement plaisir que vous allez refaire le tour du pâté de maison, monsieur.)
Du coup ici, je fais rire aux larmes mes collègues à la cantoche en essayant de leur expliquer le concept du Minitel. J’ai même cru que mon boss allait s’étrangler dans son fou-rire quand j’ai raconté que pour communiquer avec ma banque en France, la POSTE pour ne pas la citer, il fallait que j’envoie un fax. (J’ai du me faire trois antiquaires pour pouvoir envoyer ce p*** de fax, puis finalement j’ai rencontré une polonaise dont la famille immigrée venait d’en avoir un pour Noël. Nan je rigole, c'est nul.) Ils sont en avance sur tout et du coup il me croyaient pas trop avec mon histoire de fax (Sans parler du chéquier, où là ils ne me vont vraiment pas cru du tout).
C’est donc un peu comme s’ils avaient dans une main l’Iphone 7, et dans l’autre, un épluche patate.
Ils sont sincèrement très attachés à la terre, aux traditions, à leurs origines, à leur dialecte, et ont tous sans exception une partie de culture et de savoir-faire ruraux.
Déjà petits, ils apprennent à attraper et à manger des grenouilles, à buter des oiseaux migrateurs et à bâtir des tables en bois à l’école. Quand mes parents me disaient « tu as 2 mains gauches, on aurait du t’envoyer aux scouts », j’aurais dû leur répondre « Non, j’aurais plutôt du être à la maternelle à Lillehammer pour apprendre à construire une église en bois debout[2] avec Silje et Sindre »
Vous allez donc voir un Øyvind grand et beau, habillé super classe, pianoter sur son Iphone dans le tram à Oslo, en vous expliquant nonchalamment comment construire un igloo ou effrayer une meute de loups (véridique…). L’application de l’Iphone la plus téléchargée ici est un app’ qui repère les élans à 10 km à la ronde, pratique pour aller au travail.
Ce pays a une position vraiment surprenante entre traditions et modernité.
Le jour de la fête nationale, les norvégiens enlèvent leur jean Diesel ajusté ou leur petite robe Maje pour enfiler leur costume traditionnel. C’est des trucs magnifiques, brodés d’argent, qui coûtent la peau du derche et qui sont en général dans la famille depuis plusieurs générations. Et tout le monde en a. Tout le monde, même les bébés. Ca gratte et, à la longue, ça pue, mais ça en jette.
Autre exemple interpellant, à la coupe du monde de ski. Le roi arrive sur son balcon, devant le tremplin. Son entrée dans le stade est saluée par quatre blonds de la garde royale en uniforme impeccable, qui sonnent un coup de trompette, accompagné d’un « Mesdames et Messieurs, le roi » dans les haut-parleurs.
Et là, tu vois un gus avec un certain embonpoint débarquer dans un manteau Goretex ultra technique et avec un bonnet 4ème génération, qui tient bien chaud partout sur la tête, c’est pour ça que ça coute 4 380€, qu’on m’a expliqué.
Pour conclure ce nouvel épisode par la météo, le printemps semble aussi arriver à Oslo et j’ai désormais le plaisir d’aller au travail à vélo. J’ai l’impression d’être ainsi comme dans toute capitale européenne qui se respecte en soutenant la tendance écolo-bobo (bon même si j’admets que je n’ai pas dans mon panier des tomates à 55 euros le kilo achetées au marche bio du boulevard des Bâââtignôôôlles). Mais, alors que tranquillement je m’abandonne à croire, que c’est devenu moins dépaysant, maintenant que ces foutues tonnes de neige ont fondu, je me suis faite doubler lundi par un mec en ski à roulettes, avec la version été de la combi de ski…
Ils sont fous ces norvégiens.

Le bécot à tous,
Martine


[1] "Les putes oui mais l'alcool non, comment tu veux qu'on ait une chance d'accueillir un jour la coupe du monde de foot?? Bon heureusement c'est pas mieux en Suède donc ils ont pas plus de chance que nous" m'expliquait Bjørn-Håkon, un peu désabusé…
[2] Vous savez, ces superbes églises en bois sombre avec des planches verticales (et qui foutent sacrément les jetons si vous vous retrouvez tout seul dedans).